Synode pour le Moyen-Orient: Réalités et Visions
Wadih El Khazen
Président du Conseil Central Maronite au Liban
Le Synode de l’Eglise Catholique pour le Moyen Orient concerne des pays arabes et non arabes et couvre une vaste aire géographique allant de l’Egypte à la Turquie et de l’Iran à Israël, en passant par les pays du Golfe, l’Iraq, le Liban, la Syrie, la Jordanie, la Palestine et Chypre. Il touche 14 millions de chrétiens sur une population totale de 330 millions d’habitants, parmi lesquels on compte des Arabes, des Kurdes, des Turcs, des Iraniens, des Grecs et des Juifs. Ce synode se penchera donc sur une situation complexe et diversifiée.
“Il y a déjà eu ces dernières années un synode pour le Liban et un autre pour la Terre Sainte. On serait donc en droit de se poser les questions suivantes : “Au lieu d’un synode si ambitieux pour tout le Moyen Orient, pourquoi ne pas avoir organisé un Synode particulier pour chaque pays. Pourquoi le Liban et la Terre Sainte devraient-ils recommencer le même travail?” La réponse est que le nombre et la complexité des problèmes et des défis qui se posent au Moyen Orient sont trop grands pour être traités par les divers diocèses et Eglises séparément. De plus, notre monde globalisé rend indispensable un synode qui traite globalement tous les problèmes communs sous l’autorité du Souverain Pontife, “cum Petro et sub Petro”.*
Voici les deux principaux buts que se propose le Synode :
1- Confirmer et renforcer les chrétiens dans leur identité à travers la Parole de Dieu et les Sacrements.
2- “Ranimer la communion ecclésiale entre les Eglises sui iuris afin qu’elles puissent offrir un témoignage de vie chrétienne authentique, joyeuse et attrayante.
Une des particularités du Moyen Orient est le grand nombre d’Eglises orientales sui iuris qui y sont enracinées : Melkites, Syriens, Maronites, Coptes, Arméniens et Chaldéens. Ces Eglises ont besoin de vivre leurs spécificités liturgiques, linguistiques et pastorales d’une part, et une plus grande communion entre elles d’autre part. Actuellement, cette communion laisse à désirer. Elles ont aussi besoin d’un renouveau liturgique et pastoral. L’Eglise latine a vécu ce changement à l’occasion du Concile Vatican II, qui a révolutionné la liturgie, l’ecclésiologie et l’ouverture au monde. Les Eglises orientales ont besoin d’une révolution semblable pour s’adapter, se moderniser et pouvoir ainsi mieux répondre aux besoins de leurs fidèles aujourd’hui.”*
I. Identification des problèmes majeurs auxquels le Synode doit faire face
Avant toute chose identifions les problèmes majeurs dont souffrent les communautés chrétiennes du Moyen Orient :
– Une émigration qui a affaibli le tissu chrétien. Cette émigration a ouvert aussi les yeux des musulmans modérés, qui voient dans cet exode l’appauvrissement de la société arabe et la perte d’éléments modérés. Beaucoup d’intellectuels palestiniens – parmi lesquels Faysal Al Husseini, le Grand Mufti actuel de Palestine, le Grand Magistrat Tayseer Tamimi, le président Mahmoud Abbas, le Premier Ministre Salam Fayyad – ont affirmé que le départ des chrétiens était une perte pour tous les Palestiniens et mettra face à face l’extrémisme juif et l’extrémisme musulman. Les chrétiens sont un élément modéré qui attire la sympathie de l’Occident pour la question palestinienne. Par le passé, les chrétiens du Liban, d’Egypte, de Syrie et de Palestine ont participé au progrès et au développement de leurs sociétés respectives. Quand leur nombre diminuera de facon significative et qu’ils ne constitueront plus qu’un faible pourcentage de la population totale, leur présence deviendra insignifiante, et ils seront accules a l’emmigration.
– Les conversions à l’Islam. Il est vrai que peu de chrétiens deviennent musulmans. Mais étant donné le nombre réduit de nos communautés, chaque fidele compte. En Egypte, on parle de 15.000 jeunes filles chrétiennes qui, chaque année, deviennent musulmanes par mariage. De pareils cas se produisent en Palestine et en Jordanie. Chaque convertion est un drame pour la famille de la jeune fille qui considère cette conversion comme etant une trahison envers sa religion et envers elle-même. Dans la majorité des cas, la jeune fille est considérée comme perdue et perd toute relation avec sa famille. Les conversions ne touchent pas seulement les filles, elles touchent les ouvriers étrangers dans les pays du Golfe. Cela les aide dans l’embauche.Dans le seul petit émirat de Dubai, le nombre d’hommes et de femmes passés à l’Islam en 2008 est de 2763. Ils appartiennent à 72 nationalités différentes.
– La montée de l’Islam politique : “La montée de l’Islam politique à partir des années 1970 est un phénomène saillant qui affecte la région et la situation des chrétiens dans le monde arabe. Cet Islam politique comprend différents courants religieux qui cherchent a imposer un mode de vie islamique aux sociétés arabe, torque, iranienne et à tous les residents, musulmans et non musulmans. Pour ces courants, la cause de tous les maux est l’éloignement de l’Islam. La solution est donc le retour à l’Islam des origines. D’où le slogan : l’Islam est la solution […] Dans ce but, certains n’hésitent pas à recourir à la violence” (Instrumentum Laboris).
– La mentalité du ghetto : “La religion considérée comme élément d’identification non seulement différencie mais peut aussi diviser et être asservie pour engendrer intolerance et hostilite. Le danger est le replie sur soi et la peur de l’autre. Il faut donc renforcer la foi et la spiritualité de nos fidèles et resserrer le lien social et la solidarité entre eux, sans tomber dans une attitude de ghetto” (Instrumentum Laboris).
II. Réponse du Synode aux attentes des Chrétiens du Moyen Orient
L’Eglise ne prétendra jamais offrir des solutions préfabriquées à tous les problèmes des chrétiens qui vivent au Moyen Orient. La situation de chaque église, voire de chaque fidèle, est particulière. On ne peut pas trouver la solution parfaite pour toutes a la fois. L’Eglise indique les moyens pour trouver la solution à ces problèmes, elle propose 3 voies importantes :
1- Former les chrétiens à lire et à vivre de la Parole de Dieu
On trouve au Moyen Orient une grande religiosité et beaucoup de dévotion populaire. Mais la Parole de Dieu n’a pas pris encore sa juste place dans la spiritualité du peuple chrétien. La lectio divina est restée le privilège d’une élite. Il faut faire beaucoup d’efforts pour initier le peuple à la lecture et à la méditation de la Bible. Une partie du succès des sectes vient de leur contact avec la Parole de Dieu, en plus du fait qu’ils constituent partout des communautés ferventes qui attirent ceux qui sont en recherche de chaleur humaine.
L’Écriture Sainte, écrite sur nos terres et dans nos langues (hébreu, araméen ou grec), avec des expressions culturelles et littéraires que nous ressentons comme nôtres, guidera notre réflexion. La Parole de Dieu est lue en Église. Ces Écritures, transmises et méditées dans nos saintes Liturgies, nous sont parvenues à travers les communautés ecclésiales. Elles sont une référence incontournable pour découvrir le sens de notre présence, de notre communion et de notre témoignage dans le contexte actuel de nos pays.
Voici une des réponses aux Lineamenta, à propos de la Parole de Dieu : “La Parole de Dieu oriente, donne sens et signification à la vie, la transforme radicalement, y trace des chemins d’espérance, et assure l’équilibre vital de notre triple relation à Dieu, à nous-mêmes et aux autres. Par ailleurs, elle aide à affronter les défis du monde d’aujourd’hui. Aussi devrait-elle être la référence des chrétiens dans l’éducation des enfants, en particulier pour une expérience du pardon et de la charité. De fait, certaines familles s’en inspirent dans l’éducation de leurs enfants.”
2- Former les chrétiens au pardon, à la réconciliation et à l’ouverture à l’autre
Les régions du Moyen Orient sont déchirées par des conflits sanguinaires, produisant des haines et des rancunes inexpiables. Kurdes, Iraniens, Palestiniens, Israéliens et Libanais ont terriblement souffert et leurs blessures ne sont pas encore refermées, encore moins guéries. Parfois la religion s’y mêle comme arrière-fond pour idéologiser le conflit et le durcir. La solution n’est pas dans les représailles qui créent un cercle vicieux de violence sans fin, mais dans le dialogue et le pardon. Ce sera le travail des éducateurs à long terme. Les chrétiens auront leur contribution à offrir dans la résolution des conflits de caractère politique ou religieux.
L’ouverture à l’autre a aussi une dimension interreligieuse. Le Pape Benoit XVI, en visitant la Terre Sainte, la Palestine et la Turquie, a tenu à rencontrer les chefs musulmans. Il a fait de même avec la religion hébraïque pour encourager le dialogue interreligieux. Il sait que le futur de l’Humanité dépend de nos efforts en ce sens.
L’ouverture à l’autre a aussi une dimension œcuménique. Parmi les réponses aux Lineamenta, on trouve ces lignes pertinentes : “Toutes les divisions entre les Eglises du Moyen Orient sont les fruits amers du passé, mais l’Esprit travaille les Eglises pour les rapprocher et faire tomber les obstacles à l’unité visible voulue par le Christ, pour qu’elles soient Une dans leur multiplicité, à l’image de la Trinité, s’enrichissant mutuellement de leurs Traditions respectives : ‘Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé’ (Jn 17, 20-21)”.
La divergence majeure entre l’Eglise catholique et les Eglises orthodoxes tient dans la notion de primauté de l’Evêque de Rome. Dans son encyclique Ut unum sint (numéros 88-96, surtout 93 et 95), le Pape Jean-Paul II admet la responsabilité de “trouver un moyen d’exercer la primauté qui, tout en ne renonçant en aucune manière essentielle à sa mission, n’en est pas moins ouvert à une nouvelle situation, en tenant compte de la double tradition canonique latine et orientale.”
3- Former les chrétiens à considérer leur présence ici comme une vocation et non comme une fatalité
Les chrétiens qui vivent au Moyen Orient sont enracinés dans une culture et dans une langue, et vivent avec d’autres peuples dont ils partagent la langue, l’histoire et beaucoup de traditions. Les chrétiens ne doivent pas se sentir étrangers. Ils sont appelés à être témoins du Christ dans les pays mêmes où ils vivent. Fuir leurs pays d’origine, c’est fuir la réalité. Il faut encourager les chrétiens à vivre avec foi et joie dans le pays de leurs ancêtres. Leur départ affaiblira le petit reste, qui cherchera lui aussi à partir.
Les fidèles attendent des pasteurs qu’ils leur donnent les raisons claires de leur mission dans chaque pays. Nous ne pouvons être autre chose que d’authentiques témoins du Christ ressuscité présent par l’Esprit Saint dans son Église, dans les pays où nous sommes nés et où nous vivons, pays qui se caractérisent non seulement par un processus de maturation politique et démocratique, mais, malheureusement, par des conflits et l’instabilité.
Un autre aspect pourrait aider à limiter l’émigration : rendre les chrétiens plus conscients du sens de leur présence et de la nécessité de s’engager ici et maintenant, dans la vie publique. Chacun dans son pays est porteur du message du Christ à sa société. Ce message est à porter tout autant dans les difficultés et dans la persécution.
En guise de conclusion, voila quelques témoignages concernant les religieux et le clergé trouvés dans les réponses aux Lineamenta :
“Les réponses soulignent l’importance du témoignage chrétien à tous les niveaux, d’abord la vie consacrée, qui est présente dans nos pays à des degrés divers. La première mission des moines et moniales est la prière et l’intercession pour la société : pour plus de justice dans la politique et l’économie, plus de solidarité et de respect dans les rapports familiaux, plus de courage pour dénoncer les injustices, plus d’honnêteté pour ne pas se laisser entraîner dans les querelles de la cité ou dans la recherche des intérêts personnels. Telle est l’éthique que pasteurs, moines, moniales, religieux, éducateurs, se doivent de proposer, avec une grande cohérence de vie personnelle et communautaire, dans nos institutions sociales, caritatives et éducatives, afin que nos fidèles soient eux aussi toujours plus de véritables témoins de la Résurrection dans la société.”
“La formation du clergé et des fidèles, les homélies et la catéchèse, doivent donner au croyant un sens authentique de sa foi, et lui donner conscience de son rôle dans la société au nom de cette foi. Il faut lui apprendre à chercher et voir Dieu en toute chose et en toute personne, s’efforçant de le rendre présent à notre société, à notre monde, par la pratique des vertus personnelles et sociales : justice, honnêteté, droiture, accueil, solidarité, ouverture de cœur, pureté de mœurs, fidélité, etc.”*
“Les ministres du Christ, les personnes consacrées, hommes et femmes, et tous ceux qui cherchent à Le suivre de plus près, portent une lourde responsabilité spirituelle et morale dans la communauté : ils devraient être un modèle et un exemple pour les autres. La communauté attend d’eux qu’ils vivent concrètement les valeurs de l’Évangile de manière exemplaire. On ne s’étonnera pas de constater que beaucoup de fidèles souhaitent de leur part une plus grande simplicité de vie, un réel détachement par rapport à l’argent et aux commodités du monde, une pratique rayonnante de la chasteté et une pureté de mœurs transparente. Ce Synode voudrait aider à cet examen de conscience sincère pour découvrir les points forts, afin de les promouvoir et de les développer, et les points faibles, afin d’avoir le courage de les corriger.”
*Ref: Mgr William Shomali